NaNoWriMo, jour 1 : Tournesol

Des pignousses. C’est comme ça qu’on appelait les graines de tournesol enrobées de sel qu’on se partageait au goûter, à l’ombre du vieux pin parasol de la résidence. Marie sortait le petit sachet de plastique de sa poche, desserrait la pince qui le refermait, puis versait dans nos mains un petit monticule noir de graines. Marie, c’était la maman du groupe. Notre groupe de rejetons que leurs parents envoyaient loin pour les vacances scolaires, histoire de s’accorder des vacances, parce qu’il n’y avait pas de raison qu’ils n’en profitent pas eux aussi, après tout.

Pour être tout à fait honnête, les pignousses, je n’aimais pas ça. Mais pour Marie, je les mangeais sans houspiller. Parce qu’il ne fallait pas gâcher, d’abord. Parce que je n’avais pas osé aller contre le consensus à la première dégustation et qu’il était désormais trop tard pour avouer la vérité sans passer pour une dangereuse psychopathe, ensuite. Et parce que Marie les aimait tellement qu’elle n’avait jamais envisagé qu’il puisse en être autrement pour l’un d’entre nous, sa fratrie de vacances, sa famille de Soleil. Les pignousses, pour Marie, c’était une évidence.

Je la revois sortir sa bourse de son sac, compter ses petits sous, vérifier qu’il lui restait assez d’argent pour se payer un demi-pêche ou une glace menthe-chocolat. Si le parfum pignousse existait, je suis sure que c’est ce qu’elle aurait choisi tous les soirs pendant nos virées en ville. Mais menthe-chocolat était devenu son parfum signature. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu sans hésitation qu’elle trouvait le chocolat ennuyeux, que la menthe venait le relever, lui apporter un kick bienvenu. Et moi, j’étais encore là, tous les jours, à m’enfiler ses pignousses que je détestais sans pouvoir le formuler à voix haute, encore moins l’expliquer, par peur de la vexer, peut-être. Par lâcheté, sûrement. Marie, elle, n’avait jamais peur de dire ce qu’elle pensait. Ca me fascinait.

Un soir, alors que ma sœur, fidèle à elle-même, me faisait une morale de tous les diables sur un sujet que j’ai pris soin d’oublier depuis, Marie a tapé du poing sur la table, faisant danser nos verres remplis à ras bord de soda. Six ans de moins que ma sœur, un de moins que moi, et c’est elle, comme montée sur ressort, qui l’a confrontée, lui a demandé si elle prenait son pied à m’humilier ou si elle se prenait réellement pour un monstre de sagesse, si elle était aveugle au point d’ignorer à quel point elle me rendait la vie misérable, à quel point j’étais triste de n’être jamais assez pour personne, à quel point je pleurais dès qu’elle avait le dos tourné.
Marie pointait du doigt, dirigeait ses yeux révolver là-haut, directement dans ceux de ma sœur qui n’avait jamais semblé si petite, si… humaine, départie de son aura de toute puissance. Elle ne me faisait plus peur, c’était terminé. Marie m’avait fait ce cadeau.

Elle est devenue mon soleil, mon alliée, ma source principale de vitamine D, et je me suis mise à suivre sa course effrénée sur les plages de méditerranée, sur les vieux pavés de la ville fortifiée qui nous servait de maison d’été, dans les allées du marché de Provence coloré. Et j’ai réalisé que finalement, les pignousses n’étaient pas si mauvais.

Photo by Devi Puspita Amartha Yahya on Unsplash