|TW : TCA|
Je ne mange plus, et ça n’a rien de romantique.
A la mi-Juillet, je me suis rendue à un festival d’illustratrices où environ 80 consœurs étaient conviées pour présenter leur travail et le proposer à la vente. C’était super, même si incroyablement drainant et difficile de tenir un stand dans une salle bouillante huit heures durant.
Je m’attendais à un léger coup de mou une fois mes pénates lausannoises regagnées, j’ignorais que je serais frappée de plein fouet par un nouvel épisode dépressif. Et quand je dis nouveau, j’entends « inédit ».
Ca a commencé doucement je crois, presque timidement. Le vide, comme une tâche d’encre qui grignote le tissu. Le vide des sens. Le vide des envies qui nargue l’abondance de pensées plus ou moins sombres, qui se multiplient et s’agglomèrent là, sur le plexus solaire. Celles qui font transpirer et nous tiennent éveillés la nuit. La sensation d’être trop, ou au contraire pas assez. Le poids de la vie qui se transforme en angoisse, la peur de tout qui grandit dans l’estomac et prend la place des bonnes choses qui devraient s’y trouver.
Un jour, la faim m’a quittée. Ca ne m’a pas inquiétée. J’ai toujours mangé relativement peu, comme beaucoup de femmes grosses qui ont appris à se priver, lentement mais surement, sous l’œil attentif et intéressé du monde sur nos assiettes. On a appris à se faire petites, sinon par la taille, par tout le reste : nos opinions que nous n’exprimons jamais, nos sentiments qu’on garde enfouis, nos envies qu’on nous demande de restreindre, parce qu’on prend déjà assez de place comme ça, il ne faudrait pas, en plus du reste, qu’on s’étale comme du beurre sur une tartine. Donc non, ça ne m’a pas inquiétée, ça n’était pas la première fois que, trop sollicité de toutes parts, mon corps prenait la décision radicale de fermer les vannes. Comme une purge, pour vider mon corps de ce qui le ronge depuis l’extérieur. Les cris, les pleurs, les jugements, pour n’en citer que quelques-uns.
Si on dit que l’appétit vient en mangeant, l’inverse est tout aussi vrai. La diète appelle la diète. Moins on mange, moins on a faim, moins on mange, ad nauseam. L’appétit, c’est l’envie. De vivre, de rire, de profiter, d’expérimenter ce que nos sens captent, de l’analyser ou non. Quand l’envie disparaît, l’appétit fout le camp en un claquement de doigts.
Ne pas avoir faim, ça arrive. Ne jamais avoir faim, par contre, ouvre des portes gardées jusque là cadenassées dans des recoins sombres. Et puis, les compliments sur une éventuelle perte de poids font sauter les verrous.
Les recoins sombres deviennent des maisons à l’abandon où les oiseaux se cachent pour mourir, parce que personne n’ira les chercher là, au milieu de tas de bois gondolés d’humidité et de moutons de poussière. Le pire dans tout ça, c’est que je me suis trouvée belle, creusée d’angoisse et rouée de fatigue. Ca, ça m’a inquiétée.
Je ne veux pas me cacher, encore moins mourir, j’aime trop pour ça. J’aime tant que ça me fait mal. J’aimerai trouver le moyen de rediriger ne serait-ce qu’un dixième de cet amour pour la vie (qui parfois s’étiole) sur moi. Sur ce corps que je n’ai pas choisi, sur lequel je n’ai aucun contrôle et que je peine parfois à lire et comprendre. Sur ma personne dans son entièreté, sur ma façon de faire les choses et de penser. J’aimerais garder un peu d’amour pour moi.
Pour les jours de vache maigre.
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