Il y a six ans, j’essayais pour la première fois une robe de mariée.
La journée n’avait pas bien commencé : trop chaud, pas à l’aise que ce soit dans mes chaussures ou mes vêtements, pas à l’aise dans ce rôle de wedding planner que je m’étais moi-même attribué, fatiguée d’avoir passé la veille à découper minutieusement des patrons de boîtes à bonbons pour nos invités, fatiguée de stresser pour l’argent, la famille, et si ils ne s’entendent pas, et si ils s’ennuient, et si ils trouvent notre mariage nul à chier, et si tout part à vau l’eau, et si la pluie, et si le vent, et si, et si, et si. Vraiment, organiser un mariage est un énorme travail, un énorme stress qui peut vite gâcher la fête, et je n’étais pas taillée pour, malgré toutes mes meilleures intentions.

Nous étions en Juin, le mariage prévu en Septembre arrivait à grands pas, et j’avais peur de ne rien trouver qui me plaise ou qui m’aille, tout simplement. Sans famille ni amie proche à portée de main, j’ai demandé à la première copine disponible de m’accompagner, et c’est pétrie d’angoisse et dégoulinante de sueur que j’ai passé, pour la première fois, les portes d’un magasin de robes de mariée.
D’abord, il y a eu les sourires de bienvenue, les vendeurs, ceux qu’on sait très bien être faux mais auxquels on répond par politesse, ceux accompagnés d’une voix plus aigüe que l’originale, ceux censés te mettre à l’aise qui, en réalité te font suer de plus belle. Ensuite, il y a eu les questions relatives au mariage, mon mariage, celui que j’avais toujours ignoré vouloir, celui qui faisait rêver la romantique enfouie si profondément en moi. Septembre ??! Ca fait court. Ca fait très court ! Vous auriez du venir nous voir il y a deux mois, au moins.
Et voilà que je sue encore.

Ensuite, il a fallu démêler, trouver ce qui me plaisait dans un océan de dentelles et de jupons. J’ai tout essayé : de la robe droite à la coupe austère jusqu’à la robe de princesse, gonflée et lourde de tissu. Aucune d’entre elles ne fermait, car le modèle le plus large de la boutique ne dépassait pas le 42. Je me retrouvais donc le dos hérissé de pinces censées tenir le tout en place, mais la taille n’étant pas la bonne, la coupe ne donnait rien et les robes tombaient mal. Difficile de se projeter dans un vêtement trop étroit. Impossible d’oublier qu’on est trop, qu’on déborde physiquement quand on est censées déborder d’émotions. Je ne débordais pas d’émotions, moi. Je dissociais. Je me disais que c’était un sale moment à passer, qu’il faudrait choisir l’option la moins pourrie et la faire mienne. M’en contenter. Parce que je ne pouvais pas prétendre à plus, en tant que future mariée hors-normes. Dans ma tête résonnaient les paroles du photographe de mariage d’une amie.
« Vous êtes une belle mariée, vous, au moins. Parce que nous, on n’a le droit de rien dire, mais parfois, certaines nous compliquent vraiment le travail. »

Alors, oui, bien sûr, c’était une énorme raclure qui ne vaut pas la peine qu’on s’attarde dessus, mais ces mots-là m’ont hantée pendant toute l’organisation de mon mariage. Du coup, au moment de trouver ma robe, au lieu de penser à moi, je pensais à mon photographe. A ne pas lui compliquer la tâche. Je pensais à son objectif, potentiellement peu clément, à la façon qu’il aurait de dilater mon corps, encore. Toujours plus. Je pensais au dégoût que je pourrais lui inspirer, le même dégoût qui exsudait de moi par tous les pores sous des kilotonnes de tulle. Celui qui entraînerait des heures de retouches et des photos de mariage où une autre moi apparaîtrait, la femme que le monde veut désespérément que je devienne : jolie, douce, avec le moins de défauts visibles possibles.

Je suis quelqu’un qui évite autant que possible d’être le centre de l’attention. Alors pour quelqu’un comme moi, un mariage – évènement pendant lequel la mariée est clairement la vedette – me terrorisait autant qu’il pouvait me faire rêver. La simple idée de défiler sous les regards des héros de ma vie me terrifiait. En robe, de surcroît (quand la plupart de mes amis ne m’avaient encore jamais vue porter autre chose qu’un jean un peu usé), avec tout l’inconfort que ça implique (parce que, newsflash : une robe de mariée n’est pas confortable).
Finalement, il y a eu un déclic. J’ai demandé à réessayer la toute première robe passée. J’avais été attirée par elle d’instinct, sans pouvoir l’expliquer. En la passant, j’avais bien sur été déçue, rien n’allait comme il fallait, j’ai cependant réalisé que ce n’était pas la robe qui m’avait déçue, mais la morosité de mon regard. Il avait perdu tout son éclat, alors même que le col brillait de quelques cristaux. Il faut savoir que lorsque je dissocie, je ne suis plus dans mon corps, je suis en mode pilote automatique. Et à ce moment-là, j’étais ailleurs, cherchant à m’acquitter d’une corvée le plus vite possible sans trop en souffrir.
Quand je suis sortie de la cabine, tout de suite, l’éclat est revenu. C’était celle-ci, et j’avais failli passer à côté. J’avais même l’impression que ce n’était pas le même modèle. Oui, j’en débordais toujours, oui, les petites manches en tulle me sciaient les épaules, oui, ma poitrine me démangeait sérieusement sous les coutures des strass, oui, il m’a fallu passer outre ma méfiance légendaire et faire confiance aux couturières qui m’assuraient que tous ces petits détails seraient réglés avec les retouches, qu’elles tenaient d’ailleurs à m’offrir.

Tout ça aurait été beaucoup plus vite et moins douloureux si vous disposiez de modèles grandes tailles, ai-je dit en riant mais pas totalement au moment de verser l’acompte. C’est difficile de se projeter quand on est saucissonnée comme un rôti.
On m’a répondu que j’étais libre de porter une gaine.
Une gaine.
Pour ne plus déborder.
C’est là que tous mes barrages se sont fissurés, juste un peu, juste de quoi mettre en danger quiconque essayerait un jour de me contenir. Laissez-moi déborder, je ne vous veux aucun mal.


Crédits photos : les mirifiques Mehdi et Ariane Lahlali qui ont documenté tout notre mariage et ont contribué à rendre les souvenirs de ce joli jour tangibles, et sublimes.