Contreparties

Il faut que tu te vendes.

Sors. Montre ton travail.

Pour moi, c’est la partie de ce travail la plus difficile. Ne pas être capable de me représenter, de mettre en valeur mon travail, de m’exposer au jugement ou aux opinions des autres. Le faire, à mon sens, c’est comme déambuler nue en pleine rue en hurlant me voici, je suis faite ainsi, à prendre ou à laisser.

Je ne me sens jamais aussi vulnérable que lorsque que je démarche, comme si, d’une certaine manière, je faisais l’aumône et craignais que les gens ne me chassent d’un revers de main comme une mouche tenace. J’ai peur de déranger, peur de gaspiller le temps (et donc l’argent) précieux de mes interlocuteurs, peur qu’ils nous méprisent, mon travail et moi, peur qu’ils me voient comme une saltimbanque à la valise pleine de bric à brac coloré et inutile. Je suis heurtée de plein fouet par le capitaliste et son fils aîné le patronat, qui parvient à me tyranniser malgré la distance que je me suis efforcée de mettre entre nous. Je serais toujours l’employée, le dernier maillon de la chaîne, le paramètre étirable à l’infini, celle à qui on fait une faveur quand on paye son travail autrement qu’en remarques, avis ou compliments, celle à qui on ne manque jamais de rappeler la futilité de sa profession, son caractère contournable, son incroyable banalité rendant ma position aisément permutable avec le ou la première venue sachant manier un crayon. La précarité entière de cette profession. C’est ce que je vois, toujours, dans les yeux de mes démarchés.

Je suis cette opératrice téléphonique que tout le monde redoute et déteste, celle qui tient des jambes et déroule d’une voix mécanique un discours rôdé mais inefficace. Celle qui a déjà perdu avant d’avoir dit son dernier mot. Celle au visage de qui on claque les portes au lieu de lui raccrocher au nez. Et on attend de moi que je me tienne droite, fière, face aux gens, dans l’inconfort d’une boutique ou d’un bureau surclimatisé, que j’envoie valser l’anonymat avec fracas pour assumer cette identité, ce côté saltimbanque gauchiste que cette société capitaliste déteste tant. On attend de moi un elevator pitch sans bafouille, on attend de moi que je devine les envies et comble les besoins. On attend de moi une assurance et une confiance ratatinées depuis longtemps dans mes entrailles, à force de déceptions et de rejets.
On attend de moi de vivre tout ça, encore et encore, tant que mes jambes me porteront, les mêmes mots, les mêmes gestes, parfois les mêmes personnes à la mémoire courte, en attendant de ce cirque sans frontières une issue différente, positive. Capitale.
La définition même de la folie.

En fait, je ne sais plus vraiment ce qu’on attend de moi. Parfois, j’ai la nette sensation qu’être moi est un frein monumental, brutal, à une vie professionnelle épanouie. Tout en moi se perd, plus rien ne se transforme. Je ne sais plus comment faire. Comment agir.

Pour que « ça marche » enfin pour moi.
Que « ça décolle ».

Je ne sais plus quoi remettre en question. Ni comment.

Photo by Mark Williams on Unsplash

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