Meds

Il se peut que je ne sois jamais guérie. Il se peut que toute ma vie, je ressente ce déséquilibre chimique, ce manque de sérotonine qu’il faudra bien combler d’une façon ou d’une autre. Parfois, je vais si bien que j’en oublie mes petites pilules. Un jour, deux jours, une semaine à vivre ma vie sans ce rituel pharmaceutique. Et puis, soudain, je suis au bord du gouffre, prête à sauter, à la merci de la petite voix qui me répète que je ne vaux rien, qu’il n’y a rien à sauver à des kilomètres à la ronde dans mon petit corps dodu. Et je la crois. Elle n’a même pas besoin de redoubler d’efforts pour se faire persuasive. Je suis un terreau riche.

La vérité, c’est que je suis encore trop faible pour me passer de médicaments, trop déprimée pour tenir debout même après douze heures de sommeil, trop épuisée pour réfléchir et prendre des décisions. Je dérive, le long de mes pensées désordonnées, et j’oublie un peu de trop souvent de remonter à la surface pour respirer.

Notre enfant aurait eu deux ans ce mois-ci. Deux ans. Il aurait commencé à marcher et toucher à tout dans la maison, il aurait balbutié ses premiers mots, soufflé ses bougies d’anniversaire sous nos yeux ébahis d’avoir créé un petit être humain de toute pièce. J’y pense un peu trop souvent pour me convaincre d’avoir fait son deuil. Parfois, il se matérialise sous mes yeux perdus dans le vide, de chair et d’os, il me parle, m’observe, m’inclut dans sa petite vie tranquille de fantôme à mi-temps. Et ma gorge se serre, la nausée se pointe. Je suis creuse à l’intérieure, persuadée que plus rien ne fleurira de moi, de nous. Que nous sommes un couple vieillissant, qui malgré tout l’amour qu’il se porte devra renoncer au désir d’enfant pour un jour espérer ne plus en souffrir.

Jamais je n’aurais pensé qu’une fausse couche pourrait chambouler mon monde comme celle-ci l’a fait. Jamais je n’aurais pensé devoir faire le deuil d’un enfant non-né, n’ayant jamais existé autrement que dans nos pensées, derrière une hypothèse de genre et de prénom, ou une projection de nos pires défauts et meilleures qualités combinées. Je me revois plaisanter au nez de mon mari, exposant ma plus grande peur du moment, bien loin de me douter que tout cela ne durerait pas. Cet enfant sera scorpion, imagine un peu l’engin.

Et me voilà, deux ans après, à deux doigts de souffler une bougie pour marquer le coup ou d’allumer un cierge, à rationner mes anti-dépresseurs en attendant de renouveler une ordonnance dont je ne pourrais probablement jamais me passer.

Maintenant, je l’admets. J’ai mal au cœur sans même avoir besoin d’y penser. Je sais que c’est le vide de cet enfant perdu, et celui tant désiré qui ne vient pas. Il me creuse toujours un peu plus, alors que je m’arrondis de l’extérieur. C’est à n’y rien comprendre.

Thanks to Maria Ionova @marusyaionova for making this photo available freely on Unsplash 🎁

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