Ça a commencé dans l’absurdité, dans le mépris pour la paranoïa ambiante, dans le ridicule de la pénurie de masques puis de papier toilette. Ça a commencé tout doux, dans les on va pas s’arrêter de vivre quand même, dans les rapports officiels du gouvernement, dans les interdictions, dans les volutes de notre liberté qui se sont dispersés lentement. Ça a continué dans le vide inédit de la place de la Riponne, dans les regards inquiets, dans les agressions verbales nées de la peur viscérale de mourir, d’un instinct de survie qui pousse les gens à se hurler dessus pour faire respecter les fameux gestes barrières censés nous protéger. Ça se poursuit dans le silence, dans les regards désespérés derrière les fenêtres de nos appartements, à envier les gens possédant des balcons, qui prennent des bains de soleil quand le temps a finalement choisi son moment pour nous faire le plus gros doigt d’honneur qui soit. Enfermés, et dehors, le soleil, la chaleur, le printemps, le renouveau qui profite de notre absence.
On appelle ça le confinement. C’est une barricade. On calfeutre nos intérieurs et on n’a plus d’autre choix que devenir des fées de logis, des oiseaux d’appartement, dans une cage plus ou moins grande, plus ou moins éclairée, plus ou moins chaleureuse et équipée. Je n’ai jamais été un sirop de la rue. On m’a toujours qualifiée de casanière, merci maman, j’ai pris ça de toi et ton amour pour ta maison, plus valable à tes yeux que tout le reste. Ta forteresse de solitude. Et pourtant.
Cet enfermement, je le vis mal. J’ai un poids sur la poitrine qui ne cesse d’enfler. Ma peau diaphane crie au manque de vitamine D, et j’ai froid en permanence de me tenir éloignée des rayons du Soleil que j’ai passé ma vie à fuir, quelle ironie merdique.
Je peine à travailler, alors que dans la forme rien n’a changé. Je suis allongée sur mon canapé, mon iPad sur les genoux, stylet en main, mais rien ne vient. J’ai la tête vide d’envies, d’idées, pleine de à quoi bon. Car en réalité, rien n’est vraiment comme avant, et rien ne le sera jamais vraiment. On redécouvre le vide, la vacuité de nos existences, les changements de paradigmes qui remettent tout perspective, jusqu’à la pertinence de nos choix, de nos rêves, de nos professions. Les derniers seront les premiers. C’est arrivé. C’est grave, c’est dangereux. Les derniers de toujours sont les premiers d’aujourd’hui, à prendre tous les risques, en première ligne, chair à canon au service du reste.
Je vis mal l’enfermement. Mais je pense à tous ceux qui n’ont pas le choix, à qui on ne l’a pas laissé. Ceux qui aimeraient dresser les barricades, repousser, hurler, survivre. Ceux qu’on a méprisé et à qui on demande malgré tout d’être le dernier bastion de nos vies.
Ça ne me fait pas me sentir mieux, bien au contraire.
Je suis en colère. L’enfermement, ce confinement, comme on l’appelle, est le point de départ idéal d’incendies, d’une révolution qui ne demande qu’à éclater. Car plus rien ne sera jamais comme avant, et c’est exactement ce qu’il nous faut.
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