Il y a de la poussière sur les plinthes et sur les étagères de pin jaunies. La moquette épaisse laisse échapper cette odeur moite de renfermé, à la fois désagréable et rassurante. Dans les coins de la pièce, on trouve des anges. Vous savez ? Ces machins qui volent et envahissent le ciel bleu au printemps ? Ces trucs qui me font dire que bientôt, les allergies auront raison de moi.
Ils ne volent plus à présent, coincés dans les fibres de la vieille moquette qui s’agrippe à la vie sous toutes ses formes. Je la comprends. Elle se sent seule dans cette pièce désertée. Plus personne ne la piétine. On la laisse décrépir ; elle moutonne. Elle a gardé précieusement en elle les odeurs d’urine que le chat de la famille ne pouvait plus retenir.
Elle a marqué les endroits où il faisait ses griffes. Ceux où il la détricotait.
Elle a conservé les traces de vieux meubles. Un lit d’enfant solitaire qui sillonnait ses fibres comme des épis de blés dans un cercle de culture ; un vieux bureau, de ceux qu’on ne fabrique plus ; des piles de livres que vomissaient les petites étagères, posés là, nonchalamment au pied d’une bibliothèque chétive.
La peinture des murs a cédé face à la lumière brutale qui s’insinue par la fenêtre. De part et d’autre, les marques des meubles qu’on a cognés, et des copeaux de murs bleutés sont toujours là, mélangés à la poussière des plinthes. Ici, les restes d’une patafix durcie que plus personne ne pourra retirer sans arracher quoi que ce soit ; là, les restes d’un dessin que les courants d’air ont malmené.
C’est la chambre d’un fantôme.
Un petit fantôme discret qui fait craquer le sol autant que le plafond. Un petit fantôme coincé là, à lire Le Seigneur des Anneaux encore et encore, avant qu’on ne lui arrache définitivement son livre des mains pour le donner aux bonnes oeuvres, comme le reste de ses affaires. Alors, il libère les anges à grands coups de souffle, il gratte la peinture écaillée et assiste, impuissant, au remaniement de son espace. Cette chambre qui n’est plus la sienne et le sera pourtant toujours. Les murs me sentent. La moquette ne m’a jamais oubliée. Je suis toujours là, dans ma chambre d’enfant, à compter les étoiles fluorescentes au plafond pour m’endormir et écouter le plancher craquer.
Malgré tous tes efforts pour m’effacer.
(Crédit Photo : Steinar Engeland via Unsplash)